Le « Growler », ou comment emporter sa bière fraîchement tirée du fût !
Vendredi 19 janvier 2018, par Service de la bière
//On remarque depuis un moment cette tendance dans certains brewpubs et microbrasseries, où l’on nous propose d’emporter de la bière dans ces grandes bouteilles à partager lors d’une soirée entre amis.
L’idée n’est pas neuve (loin de là !), et nos voisins allemands proposent ce service depuis très longtemps dans leurs « Hausbrauerei », ces endroits où l’on peut se restaurer et déguster de la bière brassée sur place.
En Allemagne, lorsqu’on est attablé le week-end dans un Biergarten, il n’est pas rare de voir des clients arriver dans l’après-midi chargés de grandes bouteilles vides à fermeture mécanique pour les faire remplir chez le brasseur local.
On devine rapidement leurs intentions : Ils ont prévu d’inviter du monde chez eux pour un barbecue dans la soirée, et plutôt que de leur servir une bière lambda du commerce, ils se rendent chez chez le brasseur local pour s’approvisionner en bière de caractère.
Quelle belle idée que voilà ! La bière est fraîche, c’est à dire qu’elle a été brassée récemment et qu’elle n’a subi aucun traitement pour allonger sa durée de consommation/conservation, et elle a du goût ! Elle a le goût qu’a voulu lui donner le brasseur, et pas le département marketing de je ne sais quel groupe agro-alimentaire...
Par ailleurs, ce système est aussi une alternative aux mini-fûts jetables de 5 litres. Avec ces mini-fûts, dans leur version classique, le résultat au verre est très souvent déplorable :
Avalanche de mousse, bière dé-saturée, coût du produit (ramené au litre) etc...
Il en va un peu mieux pour les mini-fûts équipés d’un système de pressurisation par cartouche de CO2 intégrée, mais la contrainte pour les brasseurs de devoir répercuter le prix des ces fûts devient à mon avis incompatible avec le produit : Nous parlons ici de bière, pas d’un produit de « luxe »...
Les « Growler », s’appellent en Allemagne depuis très longtemps des « Siphon » :
Dans leur version classique ici, un siphon d’une contenance de 2 litres, fermeture mécanique avec bouchon porcelaine, poignée inox.
Généralement, cette grosse bouteille est proposée à l’achat dans les Hausbrauerei pour 12 à 15 Euros, la bière étant facturée en sus.
La bière qui est vendue dans ces contenants étant destinée à être consommée rapidement, aucun artifice pour sa conservation n’est appliqué : La bière est tirée à contre-pression directement depuis le tank de garde jusque dans le siphon.
Le résultat à la dégustation est sans commune mesure avec des bouteilles classiques ou bien les mini-fûts !
Par rapport à la refermentation en bouteille, il n’y a plus l’éternel problème du dernier verre rempli de levure (. !.), plus de problème de bière mal soutirée du mini-fût, et l’aspect économique en tenant compte de l’achat du contenant est bien vite amorti .
Mais pour nous, brasseurs amateurs, quel peut être l’intérêt ?
Pour ceux qui conditionnent leur bière en fûts, il est évident :
Qui d’entre-nous ne s’est pas rendu à une soirée improvisée, en disant : « Désolé, mais ma bière est à la maison dans mon « kegerator »...
Soutirer un siphon, growler ou cruchon ( comme vous voudrez bien l’appeler... ) à contre-pression, ça dure 5 minutes, montre en main !
Comment ça marche ?
Dans le principe, ça se passe comme dans une « vraie » brasserie :
Le but étant de transférer un liquide saturé en CO2 depuis un contenant vers un autre, sans faire de mousse, donc sans le dé-saturer !
En admettant que le contenant distributeur est un fût de notre production, et le contenant receveur un siphon, le schéma de principe est le suivant :
La bière contenue dans le fût distributeur est sensée être « finie », donc saturée correctement à un niveau connu et souhaité : par exemple 5gr de CO2/litre (voir les sujets sur ce site qui traitent cette question).
Pour réaliser un transfert entre le fût et la bouteille, il faut les relier avec des tuyaux, une bouteille de CO2, une tête de fût et une tête de remplissage pour le siphon.
En admettant toujours que les personnes intéressées disposent déjà d’un système de tirage au fût, il reste quelques modifications à apporter :
Un système de tirage classique au verre nous amène de la bière saturée en CO2 (5gr/litre pour notre exemple) à un verre que nous tenons en main : En un instant, cette bière se retrouve dans un environnement à pression atmosphérique, ce qui a pour effet que le CO2 dissout se libère lentement. C’est ce qui explique le beau col de mousse qui se forme.
Lors d’un transfert, cette libération du CO2 n’est pas souhaitée, c’est pourquoi nous devons appliquer une contre-pression. Pour ne pas oxygéner la bière dans le siphon, cette contre-pression doit de faire avec du CO2.
Sur notre système de tirage nous disposons déjà d’une bouteille de CO2 équipée d’un détendeur. Il faudra ajouter à ce détendeur une double sortie comme celle présentée ci-dessous :
Le but est de relier la bouteille de CO2 au fût distributeur et au siphon receveur en créant un équilibre de pression. Ceci est très important, car sans cet équilibre de pression entre les contenants, il ne sera pas possible de transférer sans mousse !
L’autre équipement indispensable est la tête de remplissage pour le siphon. Là, l’affaire se complique un peu, mais...
Différents fournisseurs proposent des modèles prêts à être mis en action, et on peut aussi (en ayant quelques aptitudes dans le domaine du bricolage) se fabriquer une tête fonctionnelle.
Dans le principe, la marche à suivre pour remplir un siphon est la suivante :
La condition préalable est que le fût distributeur est au froid (frigo), et dans les mêmes conditions que pour un service au robinet de tirage ( réglage du détendeur de CO2)
- 1) Tous les robinets et vannes sont fermés
- 2) Ouvrir le robinet de la bouteille de CO2
- 3) Ouvrir la vanne de CO2 vers le fût distributeur
- 4) Ouvrir la vanne de CO2 sur la tête de remplissage
A ce moment-là, le siphon receveur se met sous pression.
Attention ! Cette phase est très dangereuse !!
Il se peut que le siphon ait subi quelque dommage et que sa structure soit fragilisée, d’où un risque d’éclatement dû à la pression. Prévoyez un dispositif qui vous protège des éventuelles projections d’éclats de verre !!!
L’équilibre de pression entre le fût et le siphon est fait.
- 5) Ouvrir la vanne d’arrivée de bière sur la tête de remplissage.
Et il ne se passe rien...
C’est normal. Pour que la bière coule vers le siphon, il faut créer une légère dépression.
Pour cela, ouvrir la vanne de sortie CO2 sur la tête de remplissage (purge).
- 6) Cette phase est assez pointue : l’ouverture de cette vanne (purge) détermine la vitesse d’écoulement de la bière vers le siphon.
N.B. Pour réguler finement cette vitesse d’écoulement ,je préfère une une vis de purge (style purge de radiateur) plutôt qu’une simple vanne ¼ de tour comme proposée souvent chez les revendeurs. Le réglage est beaucoup plus fin et mieux adapté à notre usage.
Ce réglage ne se fait qu’une seule fois, que l’on remplisse 1 ou bien 100 bouteilles, il ne changera plus.
- 7)Le siphon se remplit, à la vitesse que l’on aura réglée selon l’ouverture de la vis de purge. Une légère couche de mousse se forme tout de même à la surface du liquide, mais elle nous sera bénéfique :-)
- 8) Là, c’est au feeling que ça se passe : La légère couche de mousse qui s’était formée à la surface du liquide se concentre maintenant dans le goulot du siphon et gagne en hauteur ! Il faut maintenant fermer au bon moment la vanne d’arrivée de bière.Idéalement, il faudrait qu’un peu de mousse « dégueule » de la purge, pour être certain qu’il n’y a plus d’oxygène dans le goulot du siphon.
- 9) Après avoir fermé la vanne d’arrivée de bière, on entend clairement un dégagement de CO2 au travers de la vis de purge. Il faut impérativement attendre que ce bruit s’arrête avant de retirer la tête de remplissage, sous peine de douche de bière involontaire !
Facultatif : Il arrive que le « coup de main » ne soit pas très réussi lors du remplissage , et que la mousse ne dégueule pas du goulot. A ce moment-là, on peut s’aider ( comme en brasserie...) d’un tout petit coup de jet concentré d’eau au moyen d’un « trisseur », du même genre que ceux que nous connaissons pour laver les vitres, par exemple ;-)
- 10) Retirer la tête de remplissage et fermer le siphon avec son bouchon dédié.
Au final tout ceci peut sembler bien compliqué, et surtout hors de portée de bien des brasseurs amateurs, mais il n’en est rien. Pour un brasseur amateur qui conditionne sa bière au fût, la suite est presque logique.
Les brasseurs artisanaux l’ont bien compris, et leur démarche est bien louable.
Quel geste peut être plus naturel que de chercher son pain chez le boulanger, sa viande chez le boucher et ...sa bière chez le brasseur du coin ?
A votre santé !